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EXTRAIT 2 / LA RENCONTRE


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


3

   Luccina avait profité de cette journée de repos pour partir en forêt. Bien sûr, elle avait dormi plus longtemps que d'habitude afin de récupérer. Les jours de repos étaient si rares. Cependant, la nuit avait été agitée car un groupe de soldats, sans tambour ni trompette s'était mis à fouiller leur maison ainsi que celles des voisins. Ils n'avaient pas donné d'explications mais ils semblaient tendus comme lorsque l'on est à la recherche d'un objet de valeur sur lequel on n'arrive pas
à mettre la main.
   A son réveil, son père avait déjà disparu. Elle se rappela qu'il devait aider un voisin, Pierrot le boiteux, à réparer le toit de sa masure.
   Elle traversa les vastes champs moissonnés et pénétra dans la sombre forêt de sapins. Les troncs, majestueux et serrés, se dressaient assez haut et seule une lumière ténue parvenait au sol.    Ses pas crissaient sur le tapis d'aiguilles sèches. Elle était partie pour une promenade mais mettrait tout de même celle-ci à profit pour rapporter des faines dont on pourrait extraire l'huile, des pommes sauvages, des alises* et des prunelles pour améliorer l'ordinaire. Elle essaierait d'en remplir son panier et ainsi faire la surprise à son père lors de son retour. Le baron autorisait la cueillette. Elle se dirigea résolument vers Lafrembonne*, village tout proche, traversant alors un bois de chênes où le baron laissait paître un troupeau de cochons. En tournant sur la droite, laissant le village de côté, elle atteindrait des prés où elle savait trouver les arbres dont elle cueillerait les fruits.
Soudain, le galop effréné d'un cheval la fit se retourner. Un destrier blanc comme neige se dirigeait résolument vers elle, monté par un cavalier qu'elle ne distinguait pas encore suffisamment. La monture stoppa à quelques mètres.
   - Eh bien petite, où vas-tu ainsi ? demanda un jeune damoiseau qui ne devait pas avoir quinze ans.
   Il était plutôt mince, le visage fin et pâle, les cheveux noirs et courts, les yeux d'un gris s'apparentant à la couleur du métal poli. Il portait un habit vert pâle, un bouclier en forme d'écu décoré de trois tours crénelées rouge vif. A sa ceinture de cuir était glissé un long poignard effilé. Comme Luccina ne répondait pas, il insista :
   - Eh bien petite ? Tu n'as pas de langue ou aurais-tu peur de moi ?
   - Non noble seigneur, mais je suis surprise.
   - Surprise ? Il n'y a pas de quoi. Je faisais une promenade, tout comme toi, je suppose.
   - Il est vrai, noble seigneur. Je profite de la journée de repos pour me promener et cueillir quelques fruits sauvages.
   - Tu fais bien. Mais dis-moi, comment te nommes-tu ?
   - Luccina, mon seigneur.
   - Luccina ? Drôle de nom. Tu n'es pas de la région ?
   - Moi si, mon père également et mon grand-père aussi. Mais on dit que ma famille vient de loin, de par- delà les hautes montagnes enneigées, d'un pays de soleil, de vent tiède et de mer bleue comme l'azur.
   - Sais-tu qui je suis ?
   - Non mon seigneur, comment le saurais-je ?
   - Je suis Olric, neveu du baron Ulrich, seigneur de Turquestein et maître de ces lieux.
   Luccina fit un mouvement pour mettre un genou en terre.
   - Non, je t'en prie. Pas de cela entre nous. Tu me sembles vive et intelligente. Pourtant tu es vouée à être serve pour le restant de tes jours.
   - Nous vivons ainsi mon seigneur. Nous sommes habitués. Nous avons du travail, un lopin de terre et de quoi manger. Le baron est bon avec nous. C'est un homme généreux.
   - Merci pour ces compliments. Je saurai m'en souvenir. Veux-tu monter sur le cheval ? Je peux t'emmener faire un tour si tu veux.
   - Je ne sais si je dois.
   - Puisque je te le propose. Tu seras plus vite arrivée auprès de tes chers arbres. Allez, monte !
   Luccina hésita encore un instant, puis, l'envie et la curiosité prenant le dessus, elle saisit la main qui se présentait et qui la hissa sur le cheval.
   - Allez, accroche-toi !
   Et le cheval s'élança à travers le vaste pré, atteignant bientôt le galop. Le jeune Olric maniait sa monture avec dextérité, avec précision, guidant son cheval d'une façon sereine et sûre. Ils chevauchèrent ainsi un bon quart d'heure et Luccina commençait à apprécier cette balade, à aimer le souffle du vent tiède qui soufflait sur son visage et faisait voler ses nattes. A l'entrée d'un bois touffu de bouleaux, le cheval hésita, renâcla, gratta le sol de sa jambe droite.
   - Eh bien Cornélius ? Que t'arrive-t-il ? demanda son maître.
   La réponse vint très vite. De derrière les arbres alentours, un groupe de quatre hommes, munis de gourdins, venait d'apparaître. Aucune équivoque n'était possible sur leurs intentions. Il suffisait pour cela de regarder leurs visages aux yeux brillants, leurs sourires malicieux et les gourdins levés.
   - Oh ! Ça se gâte dirait-on, souffla Olric à l'intention de sa cavalière. Puis d'une voix plus forte, à l'adresse des inconnus: n'approchez pas manants ! Ou vous le regretterez ! Mon oncle Ulrich vous châtiera sans pitié !
   Ces propos qui avaient l'avantage de présenter le jeune homme et d'annoncer un châtiment possible n'eurent aucun effet sur les quatre compères qui n'étaient plus qu'à quelques mètres du cheval. Alors Olric, rassemblant son courage, sauta à bas de sa monture. Il était vif et rapide. Souple aussi. Dans sa main brillait déjà le long poignard effilé qui balafra profondément le visage d'un des agresseurs. Son bouclier arrêta un coup de gourdin et, se glissant au sol dans une roulade surprenante, il parvint, toujours à l'aide de son arme à trancher le jarret d'un second adversaire qui s'écroula tout net. Luccina n'était pas en reste. Elle avait sauté du cheval et saisissant un bloc de grès d'une masse à la limite de ce que ses bras pouvaient porter, elle asséna un coup terrible sur le crâne d'un des hommes. On entendit craquer les os et le malandrin s'écroula mollement sur une touffe de bruyère. Le dernier s'était jeté sur Olric, qui cloué au sol, sur le dos, avait bien du mal à s'en défaire. L'homme était plus lourd, plus fort.    L'issue était maintenant incertaine. Les mains de l'agresseur entouraient son cou et commençaient à serrer fortement. Olric avait laissé échapper son poignard et se trouvait sans défense.
   - On ne bouge plus ! cria une voix aiguë. On lâche doucement et on se relève, doucement, voilà, doucement.
   Les mains relâchèrent leur étreinte. L'homme se releva. Une goutte de sang perlait sur son cou à deux doigts de la trachée. La pointe du poignard, sur sa gorge l'avait fait réfléchir et l'avait ramené à de plus sages résolutions. Au bout du poignard, une main, au bout de la main, Luccina, qui tentait de ne pas montrer sa peur.
   Puis l'homme recula vers ses compagnons qui étaient abasourdis et mal en point. Olric se releva, se frottant les muscles des bras, probablement endoloris par la lutte.
   - Ne vous ravisez plus à ce genre de choses, mes gaillards. Vos visages sont gravés en ma mémoire. La prochaine patrouille de soldats sera pour vous alors je vous conseille de mettre tout de suite le plus de distance entre vos carcasses et cette contrée.
   Comme les hommes semblaient se reprendre et vouloir reprendre le combat, Olric empoigna Luccina et ils montèrent sur Cornélius.
   - Allez, on file !
   La monture s'élança dans le sous-bois, galopa un moment, puis Olric, estimant la distance de sécurité suffisante, fit stopper l'animal dans une clairière qui sentait bon la framboise et la mûre. Les rayons du soleil illuminaient ces lieux d'une douce lumière apaisante. Luccina sauta du cheval et s'allongea au sol, comme épuisée, vidée soudainement de toute énergie.
   - J'ai cru que je n'y arriverais pas, murmura-t-elle dans un souffle. J'avais si peur. Ces hommes, si effrayants, avec leurs gourdins.
   - Je trouve que tu t'en es bien tirée. Un vrai petit soldat ! Et puis, tu m'as sauvé la vie. Maintenant, j'ai une dette envers toi. Si un jour tu as besoin de quelque chose, si tu te trouves dans une situation pénible ou délicate, fais-moi signe, je serai là pour t'aider. Je n'ai qu'une parole.
   - Merci mon seigneur
   - Ne m'appelle plus mon seigneur. A partir de ce jour, tu dois m'appeler Olric.
   - Mais jamais je n'oserai.
   - C'est un ordre de ton seigneur.
   - Bien, mon seigneur.
   Et ils se mirent à rire à gorge déployée
   Puis Olric prit soudain un air plus sombre, presque grave. Quelque chose devait l'inquiéter. Luccina avait vu son front se plisser et ses mâchoires se contracter.
   - Quelque chose qui ne va pas….Olric ?
   - L'écu, mon bouclier. Je l'ai laissé là-bas, sur les lieux de la bagarre.
   - Est-ce si grave ? Ce n'est qu'un écu après tout, tu en auras certainement un autre. Ton oncle comprendra qu'il valait mieux sauver ta vie que le bouclier.
   - Non, non, continua Olric, maintenant en proie à une sorte de panique. Ce bouclier, c'est celui de notre ancêtre à tous, Odon. Je l'ai "emprunté" hier, dans la salle d'armes. Mon oncle n'est pas au courant.



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