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EXTRAIT 3 / LE VIEUX SAGE


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

5



   Bien que légèrement voilée d'une brume roussâtre, la lune était bien au rendez-vous et éclairait la campagne de sa lueur blafarde. Les alentours étaient calmes, aucun bruit ne se faisait entendre sous les murailles du château. Olric émergea d'un taillis bordant la muraille et rejoignit Luccina qui l'attendait au pied du grand peuplier. Il regarda scrupuleusement autour de lui, lui adressa un petit signe de la main.
   - Tu as réussi ? demanda la fillette.
   - Ça n'a pas été facile. Mais j'ai réussi à tromper la vigilance des gardes. En fait, je trouve plutôt cela inquiétant pour la sécurité du château. Et ton père ?
   - Il dort à poings fermés. Il a travaillé dur aujourd'hui avec les maçons. Avec un peu de chance, il ne s'apercevra pas de mon escapade. Mais qu'as-tu emporté ?
   - Un arc et quelques flèches. Et puis aussi deux poignards; il y en a un pour toi. Tu sauras t'en servir ?
   - Je ne sais pas.
   - En cas de réel besoin, tu verras, tu sauras t'en servir.
   - J'espère que ce ne sera pas nécessaire.
   Ils s'enfoncèrent dans la forêt. La lune dessinait des ombres allongées, multiples, tordues, plus inquiétantes les unes que les autres. En tendant l'oreille, on pouvait se rendre compte que le sous-bois était peuplé d'innombrables bruits. Hululements et chuintements d'oiseaux nocturnes, cri perçant d'une buse dérangée dans son sommeil, cavalcades de petits et grands animaux ayant senti la présence humaine. Toute cette forêt, apparemment endormie, vivait bel et bien. Luccina était habituée à cette ambiance particulière et n'éprouvait pas de crainte réelle vis à vis des animaux de la forêt. Elle craignait beaucoup plus une mauvaise rencontre avec un groupe de malandrins prêts à vous trancher la gorge pour une broutille. Olric, lui, semblait à son aise. Il était doté d'un caractère fonceur, courageux, volontaire et malgré son jeune âge, il ne semblait pas craindre grand chose. Sans doute avait-il plus peur de son oncle Ulrich que d'une bande de manants.
   Le Vieux Sage, on l'appelait ainsi car nul ne connaissait son nom, habitait une cahute vers le sud, à une lieue et demie du château. Les habitants de la contrée le craignaient et le respectaient à la fois. Bien que ses idées et ses propos ne soient pas toujours en accord avec les préceptes des moines de l'abbaye de Bon Moutier*, il était souvent consulté, y compris par des gens d'église qui ne s'en vantaient pas, bien entendu. On lui prêtait le don de voir dans l'avenir, de donner des conseils judicieux et d'infléchir les actions des hommes afin qu'ils évitent certains ennuis et parviennent à leur fin. Il ne demandait rien en échange de ses services, mais il recevait régulièrement de la nourriture et des vêtements. Le comte de Châtillon lui avait même offert un superbe chien qui lui tenait compagnie, un porc et trois chèvres. On lui faisait aussi régulièrement livrer du bois et de temps à autre, des hommes du château passaient entretenir sa cahute.
   - Nous arrivons, souffla Olric, content de n'avoir fait aucune mauvaise rencontre.
   Mais les maraudeurs avaient besoin de dormir eux aussi.
   - Voilà sa maison, répondit Luccina, désignant, au centre d'une clairière, une masure de bois qui semblait en piteux état.
   Quelques bûches de chêne finissaient de se consumer sur un tapis de braise. Olf, le superbe chien de garde, haut sur pattes, au poil beige très court, le museau effilé et l'œil vif se dressa et signala leur présence par des aboiements puissants.
   - Suffit Olf ! cria une voix qui venait de l'intérieur. Puis, d'un ton plus calme : approchez jeunes gens, approchez, je vous attendais.
Les deux enfants se regardèrent, surpris. Avec le Vieux Sage, il fallait s'attendre à tout. Le chien ayant cessé d'aboyer et ayant retrouvé sa place à côté du feu, ils purent s'approcher et poussèrent la porte branlante qui méritait réparation. Olric en toucherait un mot au menuisier. L'intérieur était baigné d'une douce lumière orangée diffusée par des bougies de cire d'abeille protégées des courants d'air par des sortes de miroirs de métal poli. L'odeur de cire prenait au nez. Le vieil homme, allongé sur une sorte de natte de paille tressée, se trouvait dans un angle de la pièce qui n'avait pour tout mobilier qu'une planche de bois posée sur deux rondins. Des coffres massifs et débordants d'objets et d'étoffes occupaient la moitié de cette pièce.
   - N'ayez pas peur mes enfants, asseyez-vous, leur dit-il, désignant deux billots sur le côté de la porte. Mais, suis-je bête, pourquoi auriez-vous peur puisque vous êtes venus de votre plein gré. Qui êtes-vous ? Oh toi, petite, il me semble te connaître. Ah oui, ta maman, il y a quelques années…
   Il fit une pause, gêné d'avoir évoqué ce souvenir.
   Les enfants se présentèrent et le vieil homme, dont les yeux malins n'avaient pas cillé un seul instant eut un petit sourire tandis qu'il caressait sa longue barbe jaunie par le temps. Quel âge pouvait-il bien avoir ? Nul ne le savait. Certains prétendaient qu'il était centenaire, d'autres qu'il n'avait pas d'âge ou encore qu'il était immortel. Allez savoir.
   - Dites-moi ce qui vous amène dans ma modeste demeure. Si vous avez fait le déplacement en pleine nuit, avec les risques que cela comporte, c'est que la chose est d'importance, n'est-ce pas ?
   - En effet, répondit Olric.
   Et il lui fit, en quelques mots, le récit de la situation. La promenade, le bouclier qu'il avait emprunté, l'embuscade, la perte de l'écu et l'inquiétude des chevaliers.
   Le Vieux Sage ferma un instant les yeux et sembla prononcer des paroles sur un ton si bas que les enfants ne purent en saisir le sens.    Cela dura un moment pendant lequel on se demanda s'il était encore physiquement présent dans la pièce. Il rouvrit enfin les yeux. Son visage était devenu grave et il parla d'une voix lente, presque cérémonieuse, pesant chacun de ses mots.
   - Mes enfants, cette histoire ne me plaît pas. Ce bouclier a une valeur que personne n'a encore estimée réellement. Il a des pouvoirs particuliers, sur les gens, sur les soldats, sur la foule. Il a même un pouvoir sur celui qui le possède le dotant d'une force et d'une facilité à traverser les épreuves les plus difficiles. Sa perte est un drame pour le château. Qui sait maintenant comment cet écu sera utilisé et par qui ?
   - Olric était atterré. Par sa stupide faute, le château et
ses occupants étaient en péril. Le Vieux Sage s'en rendit compte.
   - Mon garçon, tu ne pouvais pas savoir. Tu ne pouvais pas connaître les pouvoirs attribués à cet écu. Le mal est fait. Maintenant il faut réparer. Je te crois assez courageux pour cela. Il faudra faire vite car je vois des images sombres, des chevaliers en armes, des soldats, de nombreux soldats, des villages qui brûlent, des paysans massacrés, la contrée mise à sac, ah! le château…il est en grand danger, des assaillants arrivent de partout….
   Il se tut soudainement.
   - Comment faire ? demanda Luccina.
   - Commencez par prendre ceci.
   Et il leur tendit à chacun un petit médaillon métallique sur lequel figurait un chêne enroulé de lierre.
   - Mettez cette médaille, elle pourrait vous protéger. Ensuite, vous irez rendre visite à Cyrielle la fée. Sa masure se trouve un peu plus haut, vers le Haut des Cailloux. Racontez-lui votre histoire. Elle pourra peut-être vous aider. Bonne chance mes enfants.
   Luccina et Olric comprirent qu'il était temps de quitter le Vieux Sage. On ne pouvait pas dire qu'il leur avait particulièrement remonté le moral mais au moins la situation était claire.
   - Je vous enverrai le menuisier, lança Olric, en quittant la maison. Votre porte, là, elle ne tient plus.
   - Merci mon garçon. Bonne chance.




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